Histoire d'une vie - Partie 1

L'histoire qui suit pourrait être celle d'un grand nombre de chevaux. Du moins le
début. L'histoire va devenir l'Histoire ; le cheval sera de ceux dont on se rappelle
longtemps. Mais pour l'instant, revenons au commencement.

Allongée dans la paille, le souffle de la jument s'intensifie. Tout près d'elle deux
hommes se tiennent près à intervenir. La belle grise ne s'inquiète pas, ce n'est pas la
première fois qu'elle donne la vie. Elle se permet même de mâchonner quelques brins
de paille. Les minutes défilent. Enfin, après onze mois protégé de tout dans le ventre
de sa mère, le poulain vient au monde. Immédiatement les deux hommes présents
l'écartent de quelques centimètres de sa mère et lui dégagent les naseaux.
C'est un mâle. La poulinière regarde fièrement cette petite chose un peu perdue. Il
sera gris, comme sa mère. Il est couché dans la paille, la tête relevée, hagard. Sa mère
se lève et va immédiatement le lécher. Premier contact qui tisse des liens
inébranlables.
Maintenant le nouveau-né doit rassembler ses forces. Il lui faut se lever. Dans la
nature, il n'aurait pas le choix. Se lever ou mourir. Se lever pour boire ce premier lait
qui lui assurera de vivre. Atteindre les mamelles ou en rester là. Après onze mois de
gestation, tout peut basculer en quelques heures. Heureusement pour notre petit gris,
les deux hommes toujours présents l'aideront si cela tourne mal. Mais pour l'instant, à
lui de se débrouiller seul. Encouragé par sa mère qui le pousse du bout de nez, il tente
de se mettre debout. Il lui faut plusieurs tentatives ponctuées de chutes pour trouver
un semblant d'équilibre. Pas facile de se relever quand on est né il y a quelques
minutes et que nos jambes semblent infiniment trop grandes. Chancelant, le poulain
fait quelques pas. Toujours guidé par sa mère, il parvient aux mamelles. Enfin il peut
boire ce premier lait salvateur.
Il commence à trouver son équilibre. Ses pas sont de plus en plus assurés. Après
encore de longues minutes, le jeune poulain se laisse retomber dans la paille. Exténué
et repu, il s'assoupit. La douce poulinière s'accorde également un peu de repos bien
mérité. Elle garde toutefois un oeil sur son petit, et le gardera jusqu'au sevrage.

Un ou deux jours se sont écoulés. Il est temps pour le poulain de sortir hors de son
box. Il suit de près sa mère tenue par un homme. Tous ses sens sont en éveil. Il
découvre de nouvelles odeurs qui lui deviendront bientôt familières. De nouveaux
bruits qui font sursauter notre téméraire petit. Il découvre surtout d'immenses prés qui
semblent s'étendre à l'infini. Il fixe cette terre pendant quelques secondes. Cette terre,
les hommes l'appelle Irlande.
Le poulain arrive dans un petit paddock où il est laissé avec sa mère. Immédiatement
elle se met à brouter la tendre herbe qu'elle n'a pas vu depuis plusieurs jours. Le petit
est intrigué. Il sent cette chose qui semble tant intéresser sa mère. Puis soudain,
comme si l'énergie accumulée pendant ces quelques jours se libérait, il part au grand
galop. Il goûte pour la première fois cette extraordinaire sensation du vent sur son
corps. Cette incroyable impression de vitesse qu'il retrouvera bien plus tard en course.
Il retourne vers sa mère, toujours à pleine vitesse, et l'incite à le rejoindre dans sa
joyeuse galopade. La poulinière, après s'être fait prier quelques instants, part elle
aussi dans un majestueux galop. Les deux êtres semblent être seuls au monde. Ils
avancent ensemble dans un galop presque divin.

Quelques jours plus tard, les deux équidés rejoignent les grands pâturages. La jument
y retrouve ses camarades de pré, elles aussi accompagnées d'un nouveau poulain. Le
petit gris rencontre ses nouveaux copains de jeux.
Le groupe vivra ainsi pendant six mois. Les jeunes apprendront la vie en groupe et
ses règles, mais aussi tous les avantages qu'elle offre. Les poulinières continueront de
veiller sur leur progéniture et de profiter de ces douces conditions de vie